L’information précontractuelle en matière de distribution et de franchise
Pubblicato il :
04/03/2021
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Les positions adoptées par la Cour d’appel de Paris qui a rejeté dans un arrêt récent des demandes d’annulation d’un contrat fondées les lacunes du DIP et sur un prévisionnel de chiffre d’affaires trop optimiste, sont manifestement en faveur de la tête de réseau, tout en étant probablement en grande partie liées à la qualité de son cocontractant dont l’expérience allège substantiellement le poids de l’obligation d’information précontractuelle pesant sur la tête de réseau.
Quels sont les contrats concernés par le DIP ?
La loi impose (art. L.330-3 Code de com.) la communication d’un Document d’Information Précontractuelle (« DIP ») et le projet de contrat, au moins 20 jours avant la signature d’un contrat, par toute personne :
• qui concède à une autre personne un droit d’usage d’une marque, nom commercial ou enseigne,
• tout en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité (par ex: obligation d’approvisionnement exclusif).
Concrètement, le DIP doit être communiqué, par exemple, au franchisé, distributeur / concessionnaire ou licencié de marque, par son franchiseur, fournisseur ou donneur de licence dès lors que les deux conditions ci-dessus sont constatées.
Quelles sont les informations obligatoires du DIP ?
L’article R.330-3 du Code de commerce impose que le DIP mentionne les informations suivantes (liste non détaillée) concernant :
1° le franchiseur (identité et expérience des dirigeants, parcours professionnel, etc.) ;
2° l’entreprise du franchiseur (notamment date de création, adresse du siège social, comptes bancaires, historique de l’évolution de l’entreprise, comptes annuels, etc.) ;
3° le réseau d’exploitation (liste des membres avec la date de signature du contrat, liste des établissements proposant les mêmes produits / services dans la zone d’activité de l’implantation prévue, nombre de membres ayant cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document avec les motifs de sortie, etc.) ;
4° la marque concédée (date d’enregistrement, propriété et jouissance) ;
5° L’état général du marché à (concernant le marché des produits ou services faisant l’objet du contrat) et l’état local du marché (concernant la zone de chalandise) qui contiennent notamment des informations relatives aux facteurs de concurrence et aux perspectives de développement du marché;
6° le contrat proposé indiquant a minima sa durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités ;
7° les obligations financières pesant sur le cocontractant : nature et montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne qui devront être engagés avant de commencer l’exploitation (droits d’entrée, coûts d’installation…).
Quelle est l’étendue de l’obligation générale d’information précontractuelle ?
Depuis 2016, l’article 1112-1 du Code civil prévoit, d’une façon générale, que :
« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »
Cette obligation s’impose à tout cocontractant pour tout type de contrat. S’agissant des contrats de franchise ou de distribution, cette obligation générale d’information préalable semble s’ajouter à l’obligation spéciale de communiquer un DIP complet.
Quelles sont les sanctions ?
Sanction pénale : Le non-respect des obligations relatives au DIP expose le franchiseur ou le fournisseur à une amende pénale pouvant s’élever jusqu’à 1 500 euros et jusqu’à 3 000 euros en cas de récidive, l’amende étant multipliée par cinq pour les personnes morales (art. R.330-2 Code de com.).
Annulation du contrat : Le contrat peut être annulé pour non communication d’un DIP conforme à la loi ou non-respect de l’article 1112-1 du Code civil, sous réserve de prouver que le consentement du franchisé ou du distributeur a été vicié en raison d’une erreur commise par celui-ci ou d’un dol commis par son cocontractant. Les conséquences peuvent être très lourdes pour la tête du réseau car l’annulation implique l’obligation de remettre chaque partie en l’état (comme si le contrat n’avait pas existé) et de restituer les redevances versées ainsi que le droit d’entrée.
Mais les juridictions apprécient (trop ?) strictement les conditions de reconnaissance d’un vice du consentement affectant le franchisé ou le distributeur. Récemment, la Cour d’appel de Paris (arrêt du 20 janvier 2021, pôle 5, ch.4, n°19/03382) a rejeté une demande d’annulation d’un contrat de franchise alors que le franchiseur avait remis un DIP manifestement et volontairement lacunaire et un prévisionnel de chiffre d’affaires trop optimiste. L’arrêt rendu est intéressant car non seulement il se place dans la lignée de deux arrêts récents de la Cour de cassation (com. 10 juin 2020 n° 18-21.536 et 20 juin 2020 n° 18-15.249) mais de surcroît il se prononce sur une éventuelle annulation du contrat tant au regard des règles spéciales du DIP que de celles relevant du droit commun du consentement.
Il était ici établi que le DIP ne respectait pas l’exigence légale de communiquer une présentation du marché national et du marché local et de mentionner le nombre d’entreprises ayant cessé de faire partie du réseau. En outre, il était établi que le franchiseur avait communiqué au franchisé un prévisionnel de chiffre d’affaires très optimiste (triplement en trois ans…).
Deux enseignements majeurs peuvent en être tirés par les têtes de réseaux et leurs cocontractants :
- le franchisé / distributeur doit démontrer qu’il n’aurait effectivement pas conclu le contrat s’il avait eu les informations manquantes ou les bonnes informations.
- l’expérience significative du franchisé / distributeur atténue largement l’existence possible d’un vice du consentement.
Ainsi, alors que la présentation du marché national était non actualisée et trop vague et que celle du marché local était inexistante, la Cour rejette la qualification d’erreur du franchisé ou de dol (tromperie) du franchiseur, car le franchisé « possédait une expérience significative » depuis plusieurs années dans le même secteur.
De plus, alors que « l’intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée », la Cour rejette la demande en nullité du contrat faute pour le franchisé de prouver la réalité de l’erreur portant sur une qualité essentielle de la prestation due.
De même, alors que la Cour reprend mot pour mot l’arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2020 : « L’erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur », elle ne retient pas non plus l’erreur résultant de la communication par le franchiseur d’un prévisionnel de chiffre d’affaires très optimiste. En effet, selon elle « la connaissance du marché local par le franchisé était de nature à lui permettre de relativiser au moins en partie les exagérations du franchiseur. Le franchisé savait bien que le document prévisionnel fourni par le franchiseur n'avait pas valeur contractuelle et n'engageait pas celui-ci sur les résultats annoncés. Il appartenait en réalité au franchisé de faire sa propre étude de marché, de sorte que s'il s'est mépris sur le caractère rentable de l'opération au niveau de son entreprise, cette erreur n'a pas été provoquée par une information établie et communiquée par le franchiseur ».
La voie est donc très étroite pour le franchisé : il ne peut invoquer l’erreur sur la rentabilité si c’est lui qui élabore son plan et, même si ce plan est établi par le franchiseur ou à partir d’informations élaborées et transmises par celui-ci, l’expérience du franchisé qui connaissait le marché local peut exonérer le franchiseur.
Enfin, sur le terrain du dol (i.e. manœuvre ou mensonge d’une partie), la Cour rappelle que « le dol ne se présume point mais doit être prouvé » et juge que le franchisé ne prouve pas que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même combiné avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information au titre du DIP, caractériserait le dol.
Dommages-intérêts : Si les demandes d’annulation de contrat sont enfermés dans des conditions très strictes, il demeure que les franchisés / distributeurs peuvent alternativement obtenir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, des dommages-intérêts au titre du non-respect de l’obligation d’information précontractuelle, sous réserve de démontrer la faute (information incomplète ou erronée), le préjudice (perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses) et le lien causal entre les deux.
Eléments clefs à retenir
• Les informations requises par le DIP doivent être complètes et à jour ;• Les informations non requises par le DIP mais communiquées par le franchiseur doivent être sélectionnées avec précaution et être sincères ;
• Le franchisé doit être mis en mesure de solliciter des informations additionnelles auprès du franchiseur ;
• L’expérience du franchisé sur le secteur économique permet au franchiseur de limiter considérablement son exposition à un risque d’annulation du contrat pour vice du consentement du franchisé;
• La tête de réseau doit apprécier la frontière entre candidat « novice » et candidat « naïf ».
Par Christophe Héry et Claire Burlin
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